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CHAPITRE V.

Dans quels cas les loix somptuaires sont utiles dans une monarchie.


CE fut dans l’esprit de la république, ou dans quelques cas particuliers, qu’au milieu du treizieme siecle on fit en Arragon des loix somptuaires. Jacques I ordonna que le roi, ni aucun de ses sujets, ne pourroient manger plus de deux sortes de viandes à chaque repas, & que chacune ne seroit préparée que d’une seule maniere ; à moins que ce ne fût du gibier qu’on eût tué soi-même[1].

On a fait aussi, de nos jours, en Suede, des loix somptuaires ; mais elles ont un objet différent de celles d’Arragon.

Un état peut faire des loix somptuaites dans l’objet d’une frugalité absolue : c’est l’esprit des loix somptuaires des républiques ; & la nature de la chose fait voir que ce fut l’objet de celles d’Arragon.

Les loix somptuaires peuvent avoir aussi pour objet une frugalité relative ; lorsqu’un état, sentant que des marchandises étrangeres d’un trop haut prix demanderoient une telle exportation des siennes, qu’il le priveroit plus de ses besoins par celles-ci, qu’il n’en satisferoit par celles-là, en défend absolument l’entrée : & c’est l’esprit des loix que l’on a faites de nos jours en Suede[2]. Ce sont les seules loix somptuaires qui conviennent aux monarchies.

En général, plus un état est pauvre, plus il est ruiné par son luxe relatif ; & plus, par conséquent, il lui faut de loix somptuaires relatives. Plus un état est ri-

  1. Constitution de Jacques I, de l’an 1234, art. 6, dans Marca Hisp. pag. 1429.
  2. On y a défendu les vins exquis, & autres marchandises précieuses.