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du deyro à Meaco[1]. Le nombre de ceux qui y furent étouffés, ou tués par des garnemens, fut incroyable : on enleva les jeunes filles & les garçons ; on les retrouvoit tous les jours exposés dans des lieux publics, à des heures indues, tout nuds, cousus dans des sacs de toile, afin qu’ils ne connussent pas les lieux par où ils avoient passé ; on vola tout ce qu’on voulut ; on fendit le ventre à des chevaux, pour faire tomber ceux qui les montoient ; on renversa des voitures pour dépouiller les dames. Les Hollandois, à qui l’on dit qu’ils ne pouvoient passer la nuit sur des échafauds, sans être assassinés, en descendirent, &c.

Je passerai vite sur un autre trait. L’empereur, adonné à des plaisirs infames, ne se marioit point : il couroit risque de mourir sans successeur. Le deyro lui envoya deux filles très-belles : il en épousa une par respect, mais il n’eut aucun commerce avec elle. Sa nourrice fit chercher les plus belles femmes de l’empire. Tout étoit inutile. La fille d’un armurier étonna son goût[2] ; il se détermina, il en eut un fils. Les dames de la cour, indignées de ce qu’il leur avoit préféré une personne d’une si basse naissance, étoufferent l’enfant. Ce crime fut caché à l’empereur ; il auroit versé un torrent de sang. L’atrocité des loix en empêche donc l’exécution. Lorsque la peine est sans mesure, on est souvent obligé de lui préférer l’impunité.

  1. Recueil des voyages qui ont servi à l’établissement de la compagnie des Indes, t. V, p. 2.
  2. Ibid.