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Il y a deux genres de corruption : l’un, lorsque le peuple n’observe point les loix ; l’autre, lorsqu’il est corrompu par les loix : mal incurable, parce qu’il est dans le remede même.


CHAPITRE XIII.

Impuissance des loix Japonoises.


LES peines outrées peuvent corrompre le despotisme même. Jettons les yeux sur le Japon.

On y punit de mort presque tous les crimes[1], parce que la désobéissance à un si grand empereur que celui du Japon, est un crime énorme. Il n’est pas question de corriger le coupable, mais de venger le prince. Ces idées sont tirées de la servitude ; & viennent surtout de ce que l’empereur, étant propriétaire de tous les biens, presque tous les crimes se font directement contre ses intérêts.

On punit de mort les mensonges qui se font devant les magistrats[2] ; chose contraire à la défense naturelle.

Ce qui n’a point l’apparence d’un crime, est là sévérement puni : par exemple, un homme qui hazarde de l’argent au jeu est puni de mort.

Il est vrai que le caractere étonnant de ce peuple opiniâtre, capricieux, déterminé, bizarre, & qui brave tous les périls & tous les malheurs, semble, à la premiere vue, absoudre ses législateurs de l’atrocité de leurs loix. Mais, des gens qui naturellement méprisent la mort, & qui s’ouvrent le ventre pour la moindre fantaisie, sont-ils corrigés ou arrêtés par la vue continuelle des supplices ? & ne s’y familiarisent-ils pas ?

  1. Voyez Kempfer.
  2. Recueil des voyages qui ont servi a l’établissement de la compagnie des Indes, tom. III, part. 2, pag. 428.