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Les hommes extrêmement heureux, & les hommes extrêmement malheureux, sont également portés à la dureté ; témoins les moines & les conquérans. Il n’y a que la médiocrité & le mélange de la bonne & de la mauvaile fortune, qui donnent de la douceur & de la pitié.

Ce que l’on voit dans les hommes en particulier, se trouve dans les diverses nations. Chez les peuples sauvages, qui menent une vie très-dure, & chez les peuples des gouvernemens despotiques, où il n’y a qu’un homme exorbitamment favorisé de la fortune, tandis que tout le reste en est outragé, on est également cruel. La douceur regne dans les gouvernemens modérés.

Lorsque nous lisons, dans les histoires, les exemples de la justice atroce des sultans, nous sentons, avec une espece de douleur, les maux de la nature humaine.

Dans les gouvernemens modérés, tout, pour un bon législateur, peut servir à former des peines. N’est-il pas bien extraordinaire qu’à Sparte, une des principales fût de ne pouvoir prêter sa femme à un autre, ni recevoir celle d’un autre ; de n’être jamais dans sa maison qu’avec des vierges ; en un mot, tout ce que la loi appelle une peine est effectivement une peine.


CHAPITRE X.

Des anciennes loix Françoises.


C’EST bien dans les anciennes loix Françoises que l’on trouve l’esprit de la monarchie. Dans les cas où il s’agit de peines pécuniaires, les non-nobles sont moins punis que les nobles[1]. C’est tout le contraire dans

  1. Si comme pour briser un arrêt, les non-nobles doivent une amende de quarante sous, & les nobles de soixante livres. Somme rurale, liv. II. pag. 198, édit. goth. de l’an 1512 ; & Beaumanoir, chap. 61, pag. 309.