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biens par un rescript. Car, comme le prince était étrangement stupide, & l’impératrice entreprenante à l’excès, elle servoit l’insatiable avarice de ses domestiques & de ses confidentes ; de sorte que, pour les gens modérés, il n’y avait rien de plus desirable que la mort."

"Il y avoit autrefois, dit Procope[1], fort peu de gens à la cour : mais, sous Justinien, comme les juges n’avoient plus la liberté de rendre justice, leurs tribunaux étoient déserts, tandis que le palais du prince retentissoit des clameurs des parties qui y sollicitoient leurs affaires." Tout le monde sçait comment on y vendait les jugemens, & même les loix.

Les loix sont les yeux du prince ; il voit par elles ce qu’il ne pourrait pas voir sans elles. Veut-il faire la fonction des tribunaux ? il travaille non pas pour lui, mais pour ses séducteurs contre lui.


CHAPITRE VI.

Que, dans la monarchie, les ministres ne doivent pas juger.


C’EST encore un grand inconvénient, dans la monarchie, que les ministres du prince jugent eux-mêmes les affaires contentieuses. Nous voyons encore aujourd’hui des états où il y a des juges sans nombre, pour décider les affaires fiscales ; & où les ministres, qui le croiroit ! veulent encore les juger. Les réflexions viennent en foule : je ne ferai que celle-ci.

Il y a, par la nature des choses, une espece de contradiction entre le conseil du monarque & ses tribunaux. Le conseil des rois doit être composé de peu de personnes ; & les tribunaux de judicature en demandent beaucoup. La raison en est que, dans le pre-

  1. Histoire secrette.