CHAPITRE V.
Dans quels gouvernemens le souverain peut être juge.
MACHIAVEL[1] attribue la perte de la liberté de Florence à ce que le peuple ne jugeoit pas en corps, comme à Rome, des crimes de lese-majesté commis contre lui. Il y avoit, pour cela, huit juges établis : Mais, dit Machiavel, peu sont corrompus par peu. J’adopterois bien la maxime de ce grand homme : mais, comme dans ces cas, l’intérêt politique force, pour ainsi dire, l’intérêt civil (car c’est toujours un inconvénient, que le peuple juge lui-même ses offenses) ; il faut, pour y remédier, que les loix pourvoient, autant qu’il est en elles, à la sûreté des particuliers.
Dans cette idée, les législateurs de Rome firent deux choses : ils permirent aux accusés de s’exiler[2] avant le jugement[3] ; & ils voulurent que les biens des condamnés fussent consacrés, pour que le peuple n’en eût pas la confiscation. On verra, dans le livre XI, les autres limitations que l’on mit à la puissance que le peuple avoit de juger.
Solon sçut bien prévenir l’abus que le peuple pourroit faire de sa puissance dans le jugement des crimes : il voulut que l’aréopage revît l’affaire ; que, s’il croyoit l’accusé injustement absous[4], il l’accusât de nouveau devant le peuple ; que, s’il le croyoit injustement condamné[5], il arrêtât l’exécution, & lui fit rejuger l’af-
- ↑ Discours sur la premiere décade de Tite Liv. liv.I, ch. VII.
- ↑ Cela est bien expliqué dans l’oraison de Cicéron pro Cœcinnâ, à la fin.
- ↑ C’étoit une loi d’Athenes, comme il paroît par Démosthene. Socrate refusa de s’en servir.
- ↑ Démosthene, sur la couronne, page 494, édition de Francfort, de l’an 1604.
- ↑ Voyez Philocrate, vie des sophistes, liv. I, vie d’Æchines.