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Toutes les occasions de dispute & de procès y sont donc ôtées. C’est ce qui fait, en partie, qu’on y maltraite si fort les plaideurs : l’injustice de leur demande paroit à découvert, n’étant pas cachée, palliée, ou protégée par une infinité de loix.


CHAPITRE II.

De la simplicité des loix criminelles, dans les divers gouvernemens.


ON entend dire sans cesse qu’il faudroit que la justice fût rendue par-tout comme en Turquie. Il n’y aura donc que les plus ignorans de tous les peuples qui auront vu clair dans la chose du monde qu’il importe le plus aux hommes de sçavoir ?

Si vous examinez les formalités de la justice, par rapport à la peine qu’a un citoyen de se faire rendre son bien, ou à obtenir satisfaction de quelque outrage, vous en trouverez sans doute trop. Si vous les regardez dans le rapport qu’elles ont avec la liberté & la sûreté des citoyens, vous en trouverez souvent trop peu ; & vous verrez que les peines, les dépenses, les longueurs, les dangers mêmes de la justice, sont le prix que chaque citoyen donne pour sa liberté.

En Turquie, où l’on fait très-peu d’attention à la fortune, à la vie, à l’honneur des sujets, on termine promptement, d’une façon ou d’une autre, toutes les disputes. La maniere de les finir est indifférente, pourvu qu’on finisse. Le bacha, d’abord éclairci, fait distribuer, à sa fantaisie, des coups de bâton sur la plante des pieds des plaideurs, & les renvoie chez eux.

Et il seroit bien dangereux que l’on y eût les passions des plaideurs : elles supposent un desir ardent de se faire rendre justice, une haine, une action dans l’esprit, une confiance à poursuivre. Tout cela doit être évité dans un gouvernement où il ne faut avoir d’autre