Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/210

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tir à celui qui, sous les armes, se croit citoyen, qu’il n’est que soldat.

Dans les monarchies, les gens de guerre n’ont pour objet que la gloire, ou du moins l’honneur ou la fortune. On doit bien se garder de donner les emplois civils à des hommes pareils : il faut, au contraire, qu’ils soient contenus par les magistrats civils ; & que les mémes gens n’aient pas, en même temps, la confiance du peuple, & la force pour en abuser ([1]).

Voyez, dans une nation où la république se cache sous la forme de la monarchie, combien l’on craint un état particulier de gens de guerre ; & comment le guerrier reste toujours citoyen, ou même magistrat ; afin que ces qualités soient un gage pour la patrie, & qu’on ne l’oublie jamais.

Cette division de magistratures en civiles & militaires, faite par les Romains après la perte de la république, ne fut pas une chose arbitraire. Elle fut une suite du changement de la constitution de Rome : elle étoit de la nature du gouvernement monarchique. Et ce qui ne fut que commencé sous Auguste ([2]), les empereurs suivans ([3]) furent obligés de l’achever, pour tempérer le gouvernement militaire.

Ainsi Procope, concurrent de Valens à l’empire, n’y entendoit rien, lorsque, donnant à Hormisdas, prince du sang royal de Perse, la dignité de proconsul ([4]), il rendit à cette magistrature le commandement des armées qu’elle avoit autrefois ; à moins qu’il n’eût des raisons particulieres. Un homme qui aspire à la souveraineté cherche moins ce qui est utile à l’état, que ce qui l’est à sa cause.

  1. Ne imperium ad optimos nobilium transferretur, senatum militid vetuit Gallienus ; etiam adire exercitum. Aurelius Victor, de viris illustribus.
  2. Auguste ôta aux sénateurs, proconsuls & gouverneurs, le droit de porter les armes. Dion, liv. XXXIII.
  3. Constantin. Voyez Zozime, liv. II.
  4. Ammian Marcellin, livre XXVI. More veterum & bella recturo.