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des témoignages d’honneur : or, telle est la bizarrerie de l’honneur, qu’il se plaît à n’en accepter aucun que quand il veut, & de la maniere qu’il veut.

Le feu roi de Sardaigne ([1]) punissoit ceux qui refusoient les dignités & les emplois de son état. Il suivoit, sans le sçavoir, des idées républicaines. Sa maniere de gouverner d’ailleurs prouve assez que ce n’étoit pas là son intention.

SECONDE QUESTION. Est-ce une bonne maxime, qu’un citoyen puisse être obligé d’accepter, dans l’armée, une place inférieure à celle qu’il a occupée ? On voyoit souvent, chez les Romains, le capitaine servir, l’année d’après, sous son lieutenant ([2]). C’est que, dans les républiques, la vertu demande qu’on fasse à l’état un sacrifice continuel de soi-même & de ses répugnances. Mais, dans les monarchies, l’honneur, vrai ou faux, ne peut souffrir ce qu’il appelle se dégrader.

Dans les gouvernemens despotiques, où l’on abuse également de l’honneur, des postes & des rangs, on fait indifféremment d’un prince un goujat, & d’un goujat un prince.

TROISIEME QUESTION. Mettra-t-on sur une même tête les emplois civils & militaires ? Il faut les unir dans la république, & les séparer dans la monarchie. Dans les républiques, il seroit bien dangereux de faire, de la profession des armes, un état particulier, distingué de celui qui a les fonctions civiles ; &, dans les monarchies, il n’y auroit pas moins de péril à donner les deux fonctions à la même personne.

On ne prend les armes, dans la république, qu’en qualité de défenseur des loix & de la patrie ; c’est parce que l’on est citoyen, qu’on se fait, pour un temps, soldat. S’il y avoit deux états distingués, on seroit sen-

  1. Victor-Amédée.
  2. Quelques centurions ayant appellé au peuple, pour demander l’emploi qu’ils avoient eu : Il est juste, mes compagnons, dit un Centurion , que vous regardiez comrne honorables tous les postes où vous défendrez la république. Tite Live, l. XLII.