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une république, où la vertu regne, motif qui se suffit à lui-même, & qui exclut tous les autres, l’état ne récompense que par des témoignages de cette vertu.

C’est une regle générale, que les grandes récompenses, dans une monarchie & dans une république, sont un signe de leur décadence ; parce qu’elles prouvent que leurs principes sont corrompus ; que, d’un côté, l’idée de l’honneur n’y a plus tant de force ; que, de l’autre, la qualité de citoyen s’est affoiblie.

Les plus mauvais empereurs Romains ont été ceux qui ont le plus donné ; par exemple, Caligula, Claude, Néron, Othon, Vitellius, Commode, Héliogabale, & Caracalla. Les meilleurs, comme Auguste, Vespasien, Antonin Pie, Marc Aurele, & Pertinax, ont été économes. Sous les bons empereurs, l’état reprenoit ses principes : le trésor de l’honneur suppléoit aux autres trésors.

CHAPITRE XIX.

Nouvelles conséquences des principes des trois gouvernemens.

JE ne puis me résoudre à finir ce livre, sans faire encore quelques applications de mes trois principes.

PREMIERE QUESTION. Les loix doivent-elles forcer un citoyen à accepter les emplois publics ? Je dis qu’elles le doivent dans le gouvernement républicain, & non pas dans le monarchique. Dans le premier, les magistratures sont des témoignages de vertu, des dépôts que la patrie confie à un citoyen, qui ne doit vivre, agir & penser que pour elle : il ne peut donc pas les refuser ([1]). Dans le second, les magistratures sont

  1. Platon, dans sa republique, liv. VIII, met ces refus au nombre des marques de la corruption de la république. Dans ses loix, liv. VI, il veut qu’on les punisse par une amende. A Venise, on les punit par l’exil.