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une monarchie, l’honneur est un motif plus fort que les présens. Mais, dans l’état despotique, où il n’y a ni honneur ni vertu, on ne peut être déterminé à agir que par l’espérance des commodités de la vie.

C’est dans les idées de la république, que Platon ([1]) vouloit que ceux qui reçoivent des présens pour faire leur devoir, fussent punis de mort. Il n’en faut prendre, disoit-il, ni pour les choses bonnes, ni pour les mauvaises.

C’étoit une mauvaise loi que cette loi Romaine ([2]) qui permettoit aux magistrats de prendre de petits présens ([3]), pourvu qu’ils ne passassent pas cent écus dans toute l’année. Ceux à qui on ne donne rien ne desirent rien ; ceux à qui on donne un peu desirent bientôt un peu plus, & ensuite beaucoup. D’ailleurs, il est plus aisé de convaincre celui qui, ne devant rien prendre, prend quelque chose, que celui qui prend plus, lorsqu’il devroit prendre moins ; & qui trouve toujours, pour cela, des prétextes, des excuses, des causes & des raisons plausibles.


CHAPITRE XVIII.

Des récompenses que le souverain donne.

DANS les gouvernemens despotiques, où, comme nous avons dit, on n’est déterminé à agir que par l’espérance des commodités de la vie, le prince qui récompense n’a que de l’argent à donner. Dans une monarchie, où l’honneur regne seul, le prince ne récompenseroit que par des distinctions, si les distinctions que l’honneur établit n’étoient jointes à un luxe qui donne nécessairement des besoins : le prince y récompense donc par des honneurs qui menent à la fortune. Mais, dans

  1. Livre XII des loix.
  2. Leg. 6, §. 2, dig. ad leg. Jul. repet.
  3. Munuscula.