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sont aussi plutôt amorties[1] ; l’esprit y est plus avancé ; les périls de la dissipation des biens y sont moins grands ; il y a moins de facilité de se distinguer, moins de commerce entre les jeunes gens renfermés dans la maison ; on s’y marie de meilleure heure. On y peut donc être majeur plutôt que dans nos climats d’Europe. En Turquie, la majorité commence à quinze ans[2].

La cession de biens n’y peut avoir lieu. Dans un gouvernement où personne n’a de fortune assurée, on prête plus à la personne qu’aux biens.

Elle entre naturellement dans les gouvernemens modérés[3], & sur-tout dans les républiques ; à cause de la plus grande confiance que l’on doit avoir dans la probité des citoyens, & de la douceur que doit inspirer une forme de gouvernement que chacun semble s’être donnée lui-même.

Si, dans la république Romaine, les législateurs avoient établi la cession de biens[4], on ne seroit pas tombé dans tant de séditions & de discordes civiles, & on n’auroit point essuyé les dangers des maux, ni les périls des remedes.

La pauvreté et l’incertitutle des fortunes, dans les états despotiques, y naturalisent l’usure ; chacun augmentant le prix de son argent à proportion du péril qu’il y a à le prêter. La misere vient donc de toutes parts dans ces pays malheureux ; tout y est ôté, jusqu’à la ressource des emprunts.

Il arrive de-là qu’un marchand n’y sçauroit faire un grand commerce ; il vit au jour la journée : s’il se chargeoit de beaucoup de marchandises, il perdroit plus par les intérêts qu’il donneroit pour les payer, qu’il ne ga-

  1. Voyez le livre des loix, dans le rapport avec la nature du climat.
  2. La Guilletiere, Lacédémone ancienne & nouvelle, page 463.
  3. Il en est de même des atermoiemens dans les banque-routes de bonne foi.
  4. Elle ne fut établie que par la loi Julie, de cessione honorum. On évitoit la prison, & la section ignominieuse des biens.