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ser, il se forma des factions ; Sylla réussit enfin à s’emparer de la souveraine puissance : ce coup acheva de détruire la vertu dans Rome : il n’y eut point d’ambitieux qui ne se flattât d’obtenir le même succès. Le tyran abdiqua, mais la démocratie ne put reprendre place dans un état où il n’y avoit plus de vertu ; &, comme il y en eut toujours moins, à mesure que la domination des empereurs se prolongea, il devint de plus en plus impossible de rendre à Rome la liberté. Quelques auteurs ont été étonnés que les Romains, excédés des injustices & des cruautés de cette chaîne de monstres qui se sont succédés sur le trône impérial, ne se soient pas déterminés à se garantir désormais de ces fléaux, & à reprendre l’état républicain, sur-tout quand ils n’avoient pas craint de massacrer le tyran. La chose n’étoit plus possible ; la vertu, sans laquelle la démocratie ne peut exister, étoit entiérement bannie de Rome : on faisoit tomber le tyran, mais on ne détruisoit pas la tyrannie ; puisque sa place existoit toujours, & se trouvoit occupée sur le champ par un successeur. Si le hasard faisoit monter sur le trône un prince digne de l’occuper, tels qu’ont été Trajan, Tite, &c., le peuple jouissoit des douceurs de son gouvernement ; mais, pour cela, la tyrannie n’étoit pas détruite ; l’état étoit privé de la liberté dont il avoit joui autrefois ; un regne atroce pouvoit suivre, &