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& un autre monte sur le trône. Les traités que fait le prisonnier sont nuls ; son successeur ne les ratifieroit pas. En effet, comme il est les loix, l’état & le prince, & que, si-tôt qu’il n’est plus le prince, il n’est rien ; s’il n’étoit pas censé mort, l’état seroit détruit.

Une des choses qui détermina le plus les Turcs à faire, leur paix séparée avec Pierre I, fut que les Moscovites dirent au vizir qu’en Suede on avoit mis un autre roi sur le trône[1].

La conservation de l’état n’est que la conservation du prince, ou plutôt du palais où il est enfermé. Tout ce qui ne menace pas directement ce palais ou la ville capitale, ne fait point d’impression sur des esprits ignorans, orgueilleux & prévenus : &, quant à l’enchaînement des événemens, ils ne peuvent le suivre, le prévoir, y penser même. La politique, ses ressorts & ses loix y doivent être très-bornés ; & le gouvernement politique y est aussi simple que le gouvernement civil[2].

Tout le réduit à concilier le gouvernement politique & civil avec le gouvernement domestique, les officiers de l’état avec ceux du serrail.

Un pareil état sera dans la meilleure situation, lorsqu’il pourra se regarder comme seul dans le monde ; qu’il sera environné de déserts, & séparé des peuples qu’il appellera barbares. Ne pouvant compter sur la milice, il sera bon qu’il détruise une partie de lui-même.

Comme le principe du gouvernement despotique est la crainte, le but en est la tranquillité : mais ce n’est point une paix, c’est le silence de ces villes que l’ennemi est prêt d’occuper.

La force n’étant pas dans l’état, mais dans l’armée qui l’a fondé, il faudroit, pour défendre l’état, conserver cette armée : mais elle est formidable au prince. Comment donc concilier la sûreté de l’état avec la sûreté de la personne ?

  1. Suite de Pufendorff, histoire universelle, au traité de la Suede, chap. X.
  2. Selon M. Chardin, il n’y a point de conseil d’état en Perse.