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CHAPITRE XIV.

Comment les loix sont relatives au principe du gouvernement despotique.


LE gouvernement despotique a pour principe la crainte : mais, à des peuples timides, ignorans, abbattus, il ne faut pas beaucoup de loix.

Tout y doit rouler sur deux ou trois idées : il n’en faut donc pas de nouvelles. Quand vous instruisez une bête, vous vous donnez bien de garde de lui faire changer de maître, de leçons & d’allure ; vous frappez son cerveau par deux ou trois mouvemens, & pas davantage.

Lorsque le prince est enfermé, il ne peut sortir du séjour de la volupté, sans désoler tous ceux qui l’y retiennent. Ils ne peuvent souffrir que sa personne & son pouvoir passent en d’autres mains. Il fait donc rarement la guerre en personne, & il n’ose gueres la faire par ses lieutenans.

Un prince pareil, accoutumë, dans son palais, à ne trouver aucune résistance, s’indigne de celle qu’on lui fait les armes à la main : il est donc ordinairement conduit par la colere ou par la vengeance. D’ailleurs, il ne peut avoir d’idée de la vraie gloire. Les guerres doivent donc s’y faire dans toute leur fureur naturelle, & le droit des gens y avoir moins d’étendue qu’ailleurs. Un tel prince a tant de défauts, qu’il faudroit craindre d’exposer au grand jour sa stupidité naturelle. Il est caché, & l’on ignore l’état où il se trouve. Par bonheur, les hommes sont tels dans ce pays, qu’ils n’ont besoin que d’un nom qui les gouverne.

Charles XII étant à Bender, trouvant quelque résistance dans le sénat de Suede, écrivit qu’il leur enverroit une de ses bottes pour commander. Cette botte auroit commandé comme un roi despotique.

Si le prince est prisonnier, il est censé être mort,