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avoir reçu d’échec qu’on puisse remarquer, tombent dans une foiblesse dont les voisins sont surpris, & qui étonne les citoyens mêmes.

Il faut que les loix leur défendent aussi le commerce : des marchands si accrédités feroient toutes sortes de monopoles. Le commerce est la profession des gens égaux : &, parmi les états despotiques, les plus misérables sont ceux où le prince est marchand.

Les loix de Venise[1] défendent aux nobles le commerce, qui pourroit leur donner, même innocemment, des richesses exorbitantes.

Les loix doivent employer les moyens les plus efficaces pour que les nobles rendent justice au peuple. Si elles n’ont point établi un tribun, il faut qu’elles soient un tribun elles-mêmes.

Toute sorte d’asyle contre l’exécution des loix perd l’aristocratie ; & la tyrannie en est tout près.

Elles doivent mortifier, dans tous les temps, l’orgueil de la domination. Il faut qu’il y ait, pour un temps ou pour toujours, un magistrat qui fasse trembler les nobles ; comme les éphores à Lacédémone, & les inquisiteurs d’état à Venise ; magistratures qui ne sont soumises à aucunes formalités. Ce gouvernement a besoin de ressorts bien violens. Une bouche de pierre[2] s’ouvre à tout délateur à Venise ; vous diriez que c’est celle de la tyrannie.

Ces magistratures tyraniques, dans l’aristocratie, ont du rapport à la censure de la démocratie, qui, par sa nature, n’est pas moins independante. En effet, les censeurs ne doivent point être recherchés sur les choses qu’ils ont faites pendant leur censure ; il faut leur donner de la confiance, jamais du découragement. Les

Ro-
  1. Amelot de la Houssaye, du gouvernement de Venise, partie III. La loi Claudia défendoit aux senateuts d’avoir en mer aucun vaisseau qui tînt plus de quarante muids. Tite Live, liv. XXI.
  2. Les délateurs y jettent leurs billets.