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de bonnes loix. Les institutions anciennes sont donc ordinairement des corrections ; & les nouvelles, des abus. Dans le cours d’un long gouvernement, on va au mal par une pente insensible, & on ne remonte au bien que par un effort.

On a douté si les membres du sénat dont nous parlons doivent être à vie, ou choisis pour un temps. Sans doute qu’ils doivent être choisis pour la vie, comme cela se pratiquoit à Rome[1], à Lacédémone[2] & à Athenes même. Car il ne faut pas confondre ce qu’on appelloit le sénat à Athenes, qui étoit un corps qui changeoit tous les trois mois, avec l’aréopage, dont les membres étoient établis pour la vie, comme des modeles perpétuels.

Maxime générale : Dans un sénat fait pour être la regle, &, pour ainsi dire, le dépôt des mœurs, les sénateurs doivent être élus pour la vie : Dans un sénat fait pour préparer les affaires, les sénateurs peuvent changer.

L’esprit, dit Aristote, vieillit comme le corps. Cette réflexion n’est bonne qu’à l’égard d’un magistrat unique, & ne peut être appliquée à une assemblée de sénateurs.

Outre l’aréopage, il y avoit à Athenes des gardiens des mœurs, & des gardiens des loix[3]. A Lacédémone, tous les vieillards étoient censeurs. A Rome, deux magistrats particuliers avoient la censure. Comme le sénat veille sur le peuple, il faut que des censeurs aient les yeux sur le peuple & sur le sénat. Il faut qu’ils rétablissent, dans la république, tout ce qui a été corrompu ; qu’ils notent la tiédeur, jugent les négligences, & corrigent les fautes, comme les loix punissent les crimes.

  1. Les magistrats y étoient annuels, & les sénateurs pour la vie.
  2. Lycurgue, dit Xénophon, de republ. Lacœd. voulut qu’on élût les sénateurs parmi les vieillards, pour qu’ils ne se négligeassent pas, même à la fin de la vie : &, en les établissant juges du courage des jeunes gens, il a rendu la vieillesse de ceux-là plus honorable que la force de ceux-ci.
  3. L’aréopage lui-même étoit soumis à la censure.