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ditions les plus basses ne desirent d’en sortir, que pour être les maitres des autres.

Il en est de même de la frugalité. Pour l’aimer, il faut en jouir. Ce ne seront point ceux qui sont corrompus par les délices qui aimeront la vie frugale ; &, si cela avoit été naturel & ordinaire, Alcibiade n’auroit pas fait l’admiration de l’univers. Ce ne seront pas non plus ceux qui envient, ou qui admirent le luxe des autres, qui aimeront la frugalité : des gens qui n’ont devant les yeux que des hommes riches, ou des hommes misérables comme eux, détestent leur misere, sans aimer ou connoître ce qui fait le terme de la misere.

C’est donc une maxime très-vraie que, pour que l’on aime l’égalité & la frugalité dans une république, il faut que les loix les y aient établies.


CHAPITRE V.

Comment les loix établissent l’égalité, dans la démocratie.


QUELQUES législateurs anciens, comme Lycurgue & Romulus, partagerent également les terres. Cela ne pouvoit avoir lieu que dans la fondation d’une république nouvelle ; ou bien lorsque l’ancienne étoit si corrompue, & les esprits dans une telle disposition, que les pauvres se croyoient obligés de chercher, & les riches obligés de souffrir un pareil remede.

Si, lorsque le législateur fait un pareil partage, il ne donne pas des loix pour le maintenir, il ne fait qu’une constitution passagere : l’inégalité entrera par le côté que les loix n’auront pas défendu, & la république sera perdue.

Il faut donc que l’on regle, dans cet objet, les dots des femmes, les donations, les successions, les testamens ; enfin, toutes les manieres de contracter. Car, s’il étoit permis de donner son bien à qui on voudroit,