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les honnêtes gens. Il est rare que la corruption commence par lui. Souvent il a tiré, de la médiocrité de ses lumieres, un attachement plus fort pour ce qui est établi.

L’amour de la patrie conduit à la bonté des mœurs, & la bonté des mœurs mene à l’amour de la patrie. Moins nous pouvons satisfaire nos passions particulieres, plus nous nous livrons aux générales. Pourquoi les moines aiment-ils tant leur ordre ? c’est justement par l’endroit qui fait qu’il leur est insupportable. Leur regle les prive de toutes les choses sur lesquelles les passions ordinaires s’appuient : reste donc cette passion pour la regle même qui les affligent. Plus elle est austere, c’est-à-dire, plus elle retranche de leurs penchans, plus elle donne de force à ceux qu’elle leur laisse.


CHAPITRE III.

Ce que c’est que l’amour de la république dans la démocratie.


L’AMOUR de la république, dans une démocratie, est celui de la démocratie ; l’amour de la démocratie est celui de l’égalité.

L’amour de la démocratie est encore l’amour de la frugalité. Chacun devant y avoir le même bonheur & les mêmes avantages, y doit goûter les mêmes plaisirs, & former les mêmes espérances ; chose qu’on ne peut attendre que de la frugalité générale.

L’amour de l’égalité, dans une démocratie, borne l’ambition au seul desir, au seul bonheur de rendre à sa patrie de plus grands services que les autres citoyens. Ils ne peuvent pas lui rendre tous des services égaux ; mais ils doivent tous également lui en rendre. En naissant, on contracte envers elle une dette immense, dont on ne peut jamais s’acquitter.