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chef, des regles à tout ce qui nous est prescrit : il étend ou il borne nos devoirs à sa fantaisie, soit qu’ils aient leur source dans la religion, dans la politique, ou dans la morale.

Il n’y a rien, dans la monarchie, que les loix, la religion & l’honneur prescrivent tant que l’obéissance aux volontés du prince : mais cet honneur nous dicte que le prince ne doit jamais nous prescrire une action qui nous déshonore, parce qu’elle nous rendroit incapables de le servir.

Crillon refusa d’assassiner le duc de Guise ; mais il offrit à Henri III de se battre contre lui. Après la saint Barthelemi, Charles IX ayant écrit à tous les gouverneurs de faire massacrer les huguenots, le vicomte Dorte, qui commandoit dans Bayonne, écrivit au roi[1] : « SIRE, je n’ai trouvé, parmi les habitans & les gens de guerre, que de bons citoyens, de braves soldats, & pas un bourreau ; ainsi, eux & moi, supplions votre majesté d’employer nos bras & nos vies à choses faisables. » Ce grand & généreux courage regardoit une lâcheté comme une chose impossible.

Il n’y a rien que l’honneur prescrive plus à la noblesse, que de servir le prince à la guerre : en effet, c’est la profession distinguée ; parce que ses hasards, ses succès & ses malheurs mêmes, conduisent à la grandeur. Mais, en imposant cette loi, l’honneur veut en être l’arbitre ; &, s’il se trouve choqué, il exige ou permet qu’on se retire chez soi.

Il veut qu’on puisse indifféremment aspirer aux emplois, ou les refuser ; il tient cette liberté au-dessus de la fortune même.

L’honneur a donc ses regles suprêmes ; & l’éducation est obligée de s’y conformer[2]. Les principales sont, qu’il nous est bien permis de faire cas de notre fortune ;

  1. Voyez l’hist. de d’Aubigné.
  2. On dit ici ce qui est, & non pas ce qui doit être : l’honneur est un préjugé, que la religion travaille tantôt à détruite, tantôt à régler.