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pote ? Il a des regles suivies, & des caprices soutenus ; le despote n’a aucune regle, & ses caprices détruisent tous les autres.

L’honneur inconnu aux états despotiques, où même souvent on n’a pas de mot pour l’exprimer[1], regne dans les monarchies ; il y donne la vie à tout le corps politique, aux loix, & aux vertus mêmes.


CHAPITRE IX.

Du principe du gouvernement despotique.


COMME il faut de la vertu dans une république, & dans une monarchie de l'honneur, il faut de la CRAINTE dans un gouvernement despotique : pour la vertu, elle n’y est point nécessaire ; & l’honneur y seroit dangereux.

Le pouvoir immense du prince y passe tout entier à ceux à qui il le confie. Des gens capables de s’estimer beaucoup eux-mêmes seroient en état d’y faire des révolutions. Il faut donc que la crainte y abbatte tous les courages, & y éteigne jusqu’au moindre sentiment d’ambition.

Un gouvernement modéré peut, tant qu’il veut, & sans péril, relâcher ses ressorts. Il se maintient par ses loix & par sa force même. Mais lorsque, dans le gouvernement despotique, le prince cesse un moment de lever le bras ; quand il ne peut pas anéantir à l’instant ceux qui ont les premieres places[2], tout est perdu : car le ressort du gouvernement, qui est la crainte, n’y étant plus, le peuple n’a plus de protecteur.

C’est apparemment dans ce sens, que des cadis ont

  1. Voyez Perry, page 447.
  2. Comme il arrive souvent dans l’aristocratie militaire.