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dis que, dans une monarchie, il est très-difficile que le peuple le soit[1].

Qu’on lise ce que les historiens de tous les temps ont dit sur la cour des monarques ; qu’on se rappelle les conversations des hommes de tous les pays sur le misérable caractere des courtisans : ce ne sont point des choses de spéculation, mais d’une triste expérience.

L’ambition dans l’oisiveté, la bassesse dans l’orgueil, le desir de s’enrichir sans travail, l’aversion pour la vérité, la flatterie, la trahison, la perfidie, l’abandon de tous ses engagemens, le mépris des devoirs du citoyen, la crainte de la vertu du prince, l’espérance de ses foiblesses, &, plus que tout cela, le ridicule perpétuel jetté sur la vertu, forment, je crois, le caractere du plus grand nombre des courtisans, marqué dans tous les lieux & dans tous les temps. Or, il est très-malaisé que la plupart des principaux d’un état soient malhonnêtes gens, & que les inférieurs soient gens de bien ; que ceux-là soient trompeurs, & que ceux-ci consentent à n’être que dupes.

Que si, dans le peuple, il se trouve quelque malheureux honnête homme[2], le cardinal de Richelieu, dans son testament politique, insinue qu’un monarque doit se garder de s’en servir[3]. Tant il est vrai que la vertu n’est pas le ressort de ce gouvernement ! Certainement, elle n’en est point exclue ; mais elle n’en est pas le ressort.

  1. Je parle ici de la vertu politique, qui est la vertu morale, dans le sens qu’elle se dirige au bien général ; fort peu des vertus morales particulieres ; & point du tout de cette vertu qui a du rapport aux vérités révélèes. On verra bien ceci au liv. V, ch. II
  2. Entendez ceci dans le sens de la note précédente.
  3. Il ne faut pas, y est-il dit, se servir de gens de bas lieu ; ils sont trop austeres & trop difficiles.