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CHAPITRE IV.

Du principe de l’aristocratie.

COMME il faut de la vertu dans le gouvernement populaire, il en faut aussi dans l’aristocratique. Il est vrai qu’elle n’y est pas si absolument requise.

Le peuple qui est, à l’égard des nobles, ce que les sujets sont à l’égard du monarque, est contenu par leurs loix. Il a donc moins besoin de la vertu que le peuple de la démocratie. Mais comment les nobles seront-ils contenus ? Ceux qui doivent faire exécuter les loix contre leurs collegues, sentiront d’abord qu’ils agissent contre eux-mêmes. Il faut donc de la vertu dans ce corps, par la nature de la constitution.

Le gouvernement aristocratique a, par lui-même, une certaine force que la démocratie n’a pas. Les nobles y forment un corps qui, par sa prérogative & pour son intérêt particulier, réprime le peuple : il suffit qu’il y ait des loix, pour qu’à cet égard elles soient exécutées.

Mais, autant, il est aisé à ce corps de réprimer les autres, autant est-il difficile qu’il se réprime lui-même[1]. Telle est la nature de cette constitution, qu’il semble qu’elle mette les mêmes gens sous la puissance des loix, & qu’elle les en retire.

Or, un corps pareil ne peut se réprimer que de deux manieres ; ou par une grande vertu, qui fait que les nobles se trouvent en quelque façon égaux à leur peuple, ce qui peut former une grande république ; ou par une vertu moindre, qui est une certaine modération qui rend les nobles au moins égaux à eux-mêmes ; ce qui fait leur conservation.

  1. Les crimes publics y pourront être punis, parce que c’est l’affaire de tous ; les crimes particuliers n’y seront pas punis parce que l’affaire de tous est de ne les pas punir.