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C’est encore une loi fondamentale de la démocratie, que le peuple seul fasse des loix. Il y a pourtant mille occasions où il est nécessaire que le sénat puisse statuer ; il est même souvent à propos d’essayer une loi avant de l’établir. La constitution de Rome & celle d’Athenes étoient très-sages. Les arrêts du sénat ([1]) avoient force de loi pendant un an ; ils ne devenoient perpétuels que par la volonté du peuple.


CHAPITRE III.

Des loix relatives à la nature de l’aristocratie.

DANS l’aristocratie, la souveraine puissance est entre les mains d’un certain nombre de personnes. Ce sont elles qui font les loix & qui les font exécuter ; & le reste du peuple n’est tout au plus à leur égard que comme dans une monarchie les sujets sont à l’égard du monarque.

On n’y doit point donner le suffrage par sort ; on n’en auroit que les inconvéniens. En effet, dans un gouvernement qui a déja établi les distinctions les plus affligeantes, quand on seroit choisi par le sort, on n’en seroit pas moins odieux ; c’est le noble qu’on envie, & non pas le magistrat.

Lorsque les nobles sont en grand nombre, il faut un sénat qui regle les affaires que le corps des nobles ne sauroit décider, & qui prépare celles dont il décide. Dans ce cas, on peut dire que l’aristocratie est en quelque sorte dans le Sénat, la démocratie dans le corps des nobles, & que le peuple n’est rien.

Ce sera une chose très-heureuse dans l’aristocratie, si, par quelque voie indirecte, on fait sortir le peuple de son anéantissement : ainsi, à Gênes, la banque de

  1. Voyez Denys d’Halicarnasse, liv. IV & IX.