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MONTESQUIEU

Il n’y a rien de plus propre à détruire ou à soutenir une grande réputation que la faveur, parce qu’elle expose un homme qui a paru dans le grand jour, à un jour encore plus grand ; mais quel mérite ne faut-il pas pour jouir à la face de toute la terre d’une chose pour laquelle tant de gens se sont déshonorés sans pouvoir l’obtenir.

Il est difficile d’acquérir de grandes richesses sans perdre l’estime publique, à moins que Ton n’ait acquis auparavant tant d’honneurs et tant de gloire que les richesses soient pour ainsi dire venues d’elles-mêmes comme un accessoire qui en est presque inséparable, pour lors on jouit de ses richesses comme d’un vil prix de la vertu : qui est-ce qui a jamais été choqué des grands biens du Prince Eugène ? ils ne sont pas plus enviés que l’or que Ton voit dans les temples des Dieux.

Ce qui fait que l’envie s’irrite plus contre les richesses que contre les honneurs, c’est qu’elle y trouve plus de prise, on sait au juste qu’un cordon bleu est un cordon bleu, et rien de plus, mais on ne sait pas si un homme à qui on voit acquérir un million n’en a pas acquis quatre.

Il n’y a rien qui conserve et qui fixe mieux la réputation que la disgrâce ; il n’y a point de vertus que le peuple n’imagine en faveur de celui qu’il plaint ou qu’il regrette.

Marius revint d’Afrique, dit magnifiquement