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MONTESQUIEU

ces divers temps, à peu près comme un quart est à un vingtième, c’est-à-dire qu’elle était cinq fois plus grande.

Les rois Agis et Cléoménès voyant qu’au lieu de neuf mille citoyens qui étaient à Sparte du temps de Lycurge[1], il n’y en avait plus que sept cents, dont à peine cent possédaient des terres[2], et que tout le reste n’était qu’une populace sans courage, ils entreprirent de rétablir les lois à cet égard[3], et Lacédémone reprit sa première puissance et redevint formidable à tous les Grecs.

Ce fut le partage égal des terres qui rendit Rome capable de sortir d’abord de son abaissement, et cela se sentit bien quand elle fut corrompue.

Elle était une petite république lorsque, les Latins ayant refusé le secours de troupes qu’ils étaient obligés de donner[4], on leva sur-le-champ dix légions dans la Ville. « À peine à présent, dit Tite-Live, Rome, que le Monde entier ne peut contenir, en pourrait-elle faire autant si un ennemi paraissait tout à coup devant ses murailles : marque certaine que nous ne nous sommes point agrandis, et que nous n’avons fait qu’augmenter le luxe et les richesses qui nous travaillent. »

« Dites-moi, disait Tiberius Gracchus aux Nobles[5], qui vaut mieux, un citoyen ou un esclave perpétuel, un soldat ou un homme inutile à la guerre ? Voulez-vous, pour avoir quelques arpents de terre plus que les autres citoyens, renoncer à l’espérance de la conquête du reste du Monde ou vous mettre en danger de vous voir enlever par les ennemis ces terres que vous nous refusez ? »

  1. C’étaient des citoyens de la Ville, appelés proprement Spartiates. Lycurge fit pour eux neuf mille parts ; il en donna trente mille aux autres habitants. Voyez Plutarque, Vie de Lycurge.
  2. Voyez Plutarque, Vie d’Agis et de Cléoménès.
  3. Voyez Plutarque, ibid.
  4. Tite-Live, Ire décade, liv. VII. Ce fut quelque temps après la prise de Rome, sous le consulat de L. Furius Camillus et d’Ap. Claudius Crassus.
  5. Appian, De la Guerre civile, liv. I.