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MONTESQUIEU
CHAPITRE III.
comme les romains purent s’agrandir.

Comme les peuples de l’Europe ont, dans ces temps-ci, à peu près les mêmes arts, les mêmes armes, la même discipline et la même manière de faire la guerre, la prodigieuse fortune des Romains nous paraît inconcevable. D’ailleurs, il y a aujourd’hui une telle disproportion dans la puissance qu’il n’est pas possible qu’un petit état sorte, par ses propres forces, de l’abaissement où la Providence l’a mis.

Ceci demande qu’on y réfléchisse ; sans quoi, nous verrions des événements sans les comprendre, et, ne sentant pas bien la différence des situations, nous croirions, en lisant l’histoire ancienne, voir d’autres hommes que nous.

Une expérience continuelle a pu faire connaître en Europe qu’un prince qui a un million de sujets ne peut, sans se détruire lui-même, entretenir plus de dix mille hommes de troupes ; il n’y a donc que les grandes nations qui aient des armées.

Il n’en était pas de même dans les anciennes républiques : car cette proportion des soldats au reste du Peuple, qui est aujourd’hui comme d’un à cent, y pouvait être aisément comme d’un à huit.

Les fondateurs des anciennes républiques avaient également partagé les terres. Cela seul faisait un peuple puissant, c’est-à-dire une société bien réglée. Cela faisait aussi une bonne armée, chacun ayant un égal intérêt, et très grand, à défendre sa patrie.

Quand les lois n’étaient plus rigidement observées, les choses reve-