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GRANDEUR DES ROMAINS ET LEUR DÉCADENCE

vait avoir de la supériorité sur eux, et d’abord ils y mettaient ordre. Ils s’accoutumèrent à voir le sang et les blessures dans les spectacles des gladiateurs, qu’ils prirent des Étrusques[1].

Les épées tranchantes des Gaulois[2], les éléphants de Pyrrhus, ne les surprirent qu’une fois. Ils suppléèrent à la faiblesse de leur cavalerie[3], d’abord, en ôtant les brides des chevaux, pour que l’impétuosité n’en pût être arrêtée ; ensuite, en y mêlant des vélites[4]. Quand ils eurent connu l’épée espagnole, ils quittèrent la leur[5]. Ils éludèrent la science des pilotes par l’invention d’une machine que Polybe nous a décrite. Enfin, comme dit Josèphe[6], la guerre était pour eux une méditation ; la paix, un exercice.

Si quelque nation tint de la Nature ou de son institution quelque avantage particulier, ils en firent d’abord usage : ils n’oublièrent rien pour avoir des chevaux numides, des archers crétois, des frondeurs baléares, des vaisseaux rhodiens.

Enfin, jamais nation ne prépara la guerre avec tant de prudence et ne la fit avec tant d’audace.

  1. Fragm. de Nicolas de Damas, liv. X, tiré d’Athénée, liv. IV. Avant que les soldats partissent pour l’armée, on leur donnait un combat de gladiateurs. (Jules Capit., Vie de Maxime et de Balbin.)
  2. Les Romains présentaient leurs javelots, qui recevaient les coups des épées gauloises et les émoussaient.
  3. Elle fut encore meilleure que celle des petits peuples d’Italie. On la formait des principaux citoyens, à qui de Public entretenait un cheval. Quand elle mettait pied à terre, il n’y avait point d’infanterie plus redoutable, et très souvent elle déterminait la victoire.
  4. C’étaient de jeunes hommes légèrement armés, et les plus agiles de légion, qui, au moindre signal, sautaient sur la croupe des chevaux ou combattaient à pied. (Val. Max., liv. II ; Tite-Live, liv. XXVI.)
  5. Fragm. de Polybe rapporté par Suidas au mot Μάχαιρα.
  6. De Bello Judaico, liv. II.