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GRANDEUR DES ROMAINS ET LEUR DÉCADENCE

liers, l’escrime a été regardée comme la science des querelleurs ou des poltrons.

Ceux qui critiquent Homère de ce qu’il relève ordinairement dans ses héros la force, l’adresse ou l’agilité du corps, devraient trouver Salluste bien ridicule, qui loue Pompée de ce qu’il courait, sautait et portait un fardeau aussi bien qu’homme de son temps[1].

Toutes les fois que les Romains se crurent en danger, ou qu’ils voulurent réparer quelque perte, ce fut une pratique constante chez eux d’affermir la discipline militaire. Ont-ils à faire la guerre aux Latins, peuples aussi aguerris qu’eux-mêmes ? Manlius songe à augmenter la force du commandement et fait mourir son fils, qui avait vaincu sans son ordre. Sont-ils battus à Numance ? Scipion Émilien les prive d’abord de tout ce qui les avait amollis[2]. Les légions romaines ont-elles passé sous le joug en Numidie ? Métellus répare cette honte dès qu’il leur a fait reprendre les institutions anciennes. Marius, pour battre les Cimbres et les Teutons, commence par détourner les fleuves, et Sylla fait si bien travailler les soldats de son armée, effrayée de la guerre contre Mithridate, qu’ils lui demandent le combat comme la fin de leurs peines[3].

Publius Nasica, sans besoin, leur fit construire une armée navale : on craignait plus l’oisiveté que les ennemis.

Aulu-Gelle donne d’assez mauvaises raisons de la coutume des Romains de faire saigner les soldats qui avaient commis quelque faute[4] ; la vraie est que, la force étant la principale qualité du soldat, c’était le dégrader que de l’affaiblir.

Des hommes si endurcis étaient ordinairement sains ; on ne remarque pas dans les auteurs que les armées romaines, qui faisaient la guerre en tant de climats, périssent beaucoup par les maladies ; au lieu qu’il

  1. Cum alacribus saltu, cum velocibus cursu, cam validis vecte certabat. (Fragm. de Salluste rapporté par Végèce, liv. I, chap. ix.)
  2. Il vendit toutes les bêtes de somme de l’armée et fit porter à chaque soldat du blé pour trente jours, et sept pieux. (Somm. de Florus, liv. LVII.)
  3. Frontin, Stratagem., liv. I, chap. xi.
  4. Liv. X, chap. viii.