Page:Montesquieu - Considérations, éd. Barckhausen, 1900.djvu/40

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
CHAPITRE II.
de l’art de la guerre chez les romains.

Les Romains se destinant à la guerre et la regardant comme le seul art, ils mirent tout leur esprit et toutes leurs pensées à le perfectionner. C’est sans doute un Dieu, dit Végèce[1], qui leur inspira la légion.

Ils jugèrent qu’il fallait donner aux soldats de la légion des armes offensives et défensives plus fortes et plus pesantes que celles de quelque autre peuple que ce fût[2].

Mais, comme il y a des choses à faire dans la guerre dont un corps pesant n’est pas capable, ils voulurent que la légion contînt dans son sein une troupe légère qui pût en sortir pour engager le combat, et, si la nécessité l’exigeait, s’y retirer ; qu’elle eût encore de la cavalerie, des hommes de trait et des frondeurs pour poursuivre les fuyards et achever la victoire ; qu’elle fût défendue par toute sorte de machines de guerre qu’elle traînait avec elle ; que, chaque fois, elle se retranchât et fût, comme dit Végèce[3], une espèce de place de guerre.

Pour qu’ils pussent avoir des armes plus pesantes que celles des autres hommes, il fallait qu’ils se rendissent plus qu’hommes ; c’est ce qu’ils firent par un travail continuel qui augmentait leur force, et par des exercices qui leur donnaient de l’adresse, laquelle n’est autre chose qu’une juste compensation des forces que l’on a.

  1. Liv. II, chap. i.
  2. Voyez dans Polybe et dans Josèphe (De Bello Judaico, liv. II), cruelles étaient les armes du soldat romain. Il y a peu de différence, dit ce dernier, entre les chevaux chargés et les soldats romains. « Ils portent, dit Cicéron, leur nourriture pour plus de quinze jours, tout ce qui est à leur usage, tout ce qu’il faut pour se fortifier, et, à l’égard de leurs armes, ils n’en sont pas plus embarrassés que de leurs mains » (Tuscul., liv. III).
  3. Lib. II, cap. xxv.