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Philippe et Persée furent plutôt effrayés que vaincus. Les rois d’Égypte parurent que suppliants. Tous les autres rois courbèrent la tête. Ceux de Pergame et de Bithynie se vantèrent de leur servitude.

Il n’y a point de raison pour avoir fait une espèce d’époque à Nerva et d’avoir compté douze Césars jusqu’à lui, comme s’ils n’avaient fait qu’une même famille, qui se serait éteinte à Domitien. Il y a apparence que, Suétone ayant écrit la vie de ces douze Césars, et que, comme nous n’avons de Tacite à peu près que l’histoire de ces douze empereurs, on s’est accoutumé à les mettre ensemble et à compter, pour ainsi dire, une dynastie nouvelle à Nerva.

Les Anciens, qui avaient une religion qui leur faisait adorer les anciens héros comme des Dieux qui étaient venus se manifester aux hommes, avaient des idées très fausses de la solide gloire et de la vertu ; et, comme Hercule, et Thésée, et les autres, avaient été mis au rang des Dieux par leurs actions militaires, cela faisait regarder ceux qui les imitaient comme des gens vertueux et d’une nature plus excellente que celle des autres hommes.

La vanité d’Alexandre raisonnait très conséquemment lorsqu’il se disait fils de Jupiter, comme Hercule et Bacchus. Il ne croyait point qu’ayant fait les mêmes choses qu’eux, il ne fût qu’un homme pour les avoir faites après eux. Il fallait dire qu’il y avait un temps où Hercule et Bacchus n’avaient été que des Alexandres, ou dire qu’Alexandre était encore Hercule et Bacchus.

Aussi les hommes conquéraient-ils sans motif, sans utilité. Ils ravageaient la Terre pour exercer leur vertu et montrer l’excellence de leur être. Depuis que nous pesons un peu mieux la valeur des choses, les héros ont été couverts de ridicule, si bien que celui qui voudrait les défendre serait mille fois plus ridicule encore.

Marc-Antonin. Jamais philosophe n’a mieux fait sentir aux hommes les douceurs de la vertu et la dignité de leur être : le cœur est touché ; l’âme, agrandie ; l’esprit, élevé.

La liberté ne s’obtient que par des coups d’éclat, mais se perd par une force insensible[1].

  1. Mis (je crois) dans les Romains.