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tements faits à des marchands vénitiens, l’ambition, l’avarice, un faux zèle, déterminèrent les Français et les Vénitiens à se croiser contre les Grecs.

Ils les trouvèrent aussi peu aguerris que, dans ces derniers temps, les Tartares trouvèrent les Chinois. Les Français se moquaient de leurs habillements efféminés[1] ; ils se promenaient dans les rues de Constantinople revêtus de leurs robes peintes ; ils portaient à la main une écritoire et du papier, par dérision pour cette nation qui avait renoncé à la profession des armes ; et, après la guerre, ils refusèrent de recevoir dans leurs troupes quelque Grec que ce fût.

Ils prirent toute la partie d’Occident et y élurent empereur le comte de Flandres, dont les états éloignés ne pouvaient donner aucune jalousie aux Italiens. Les Grecs se maintinrent dans l’Orient, séparés des Turcs par les montagnes et des Latins par la mer.

Les Latins, qui n’avaient pas trouvé d’obstacles dans leurs conquêtes, en ayant trouvé une infinité dans leur établissement, les Grecs repassèrent d’Asie en Europe, reprirent Constantinople et presque tout l’Occident.

Mais ce nouvel empire ne fut que le fantôme du premier et n’en eut ni les ressources ni la puissance.

Il ne posséda guères en Asie que les provinces qui sont en deçà du Méandre et du Sangare ; la plupart de celles d’Europe furent divisées en de petites souverainetés.

De plus, pendant soixante ans que Constantinople resta entre les mains des Latins, les vaincus s’étant dispersés et les conquérants, occupés à la guerre, le commerce passa entièrement aux villes d’Italie, et Constantinople fut privée de ses richesses.

Le commerce même de l’intérieur se fit par les Latins. Les Grecs,

  1. Nicéias, Hist. après la prise de Const., chap. iii.