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DISCOURS

ne manqua jamais aux Américains, mais seulement l’espérance du succès. Ainsi un mauvais principe de philosophie, l’ignorance d’une cause physique, engourdit dans un moment toutes les forces de deux grands empires.

Parmi nous l’invention de la poudre à canon donna un si médiocre avantage à la nation qui s’en servit la première, qu’il n’est pas encore décidé laquelle eut cet avantage. L’invention des lunettes d’approche ne servit qu’une fois aux Hollandois. Nous avons appris à ne considérer dans tous ces effets qu’un pur mécanisme, et par là il n’y a point d’artifice que nous ne soyons en état d’éluder par un artifice.

Les sciences sont donc très-utiles, en ce qu’elles guérissent les peuples des préjugés destructifs ; mais, comme nous pouvons espérer qu’une nation qui les a une fois cultivées les cultivera toujours assez pour ne pas tomber dans le degré de grossièreté et d’ignorance qui peut causer sa ruine, nous allons parler des autres motifs qui doivent nous engager à nous y appliquer.

Le premier, c’est la satisfaction intérieure que l’on ressent lorsque l’on voit augmenter l’excellence de son être, et que l’on rend plus intelligent un être intelligent. Le second, c’est une certaine curiosité quêtons les hommes ont, et qui n’a jamais été si raisonnable que dans ce siècle-ci. Nous entendons dire tous les jours que les bornes des connoissances des hommes viennent d’être infiniment reculées, que les savants sont étonnés de se trouver si savants, et que la grandeur des succès les a fait quelquefois douter de la vérité des succès : ne prendrons-nous aucune part à ces bonnes nouvelles ? Nous savons que l’esprit humain est allé très-loin : ne verrons-nous pas jusqu’où il a été, le chemin qui a fait, le chemin qui lui reste à faire, les