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RÉFLEXIONS

« De toutes les vertus, dit-il, celle qui contribue le plus à nous donner une réputation invariable, c’est l’amour de nos concitoyens. Le peuple, qui croit toujours qu’on l’aime peu et qu’on le méprise beaucoup, n’est jamais ingrat de l’amour et de l’estime qu’on lui accorde. Dans les républiques, où chaque citoyen partage l’empire, l’esprit populaire le rend odieux ; mais dans les monarchies où l’on ne va à l’ambition que par l’obéissance, et où, par rapport au pouvoir, la faveur du peuple n’accorde rien lorsqu’elle n’accorde pas tout, elle donne une réputation sûre ; parce qu’elle ne peut être soupçonnée d’aucun motif qui ne soit vertueux. »

Il est bien plus facile d’acquérir de la réputation que de la conserver. « Pour l’acquérir il ne faut qu’un grand jour, et le hasard peut donner ce jour, mais pour la conserver il faut payer de sa personne presque à tous les instants.

« Quelquefois on y réussit par sa modestie ; d’autres fois on se soutient par son audace. Souvent l’envie s’élève contre un audacieux, et souvent elle s’irrite de voir un homme modeste couvert de gloire.

« Cependant le meilleur de tous les moyens que l’on puisse employer pour conserver la réputation, c’est celui de la modestie, qui empêche les hommes de se repentir de leurs suffrages, en leur faisant voir que l’on ne s’en sert pas contre eux.

« Il n’y a rien, ajoute l’auteur, qui conserve et qui fixe mieux la réputation que la disgrâce. Il n’y a point de vertus que le peuple n’imagine en faveur de celui qu’il plaint ou qu’il regrette ; mais comme la plupart des hommes ne sont pas dans un état assez élevé pour être outragés de la fortune, ils ont la retraite, qui souvent fait en eux l’effet de la disgrâce. »

Une attention importante pour soutenir sa réputation, c’est de bien connoître le génie de son siècle, et de savoir même se prêter aux préjugés dominants. « Il y a eu des fautes faites par d’illustres personnages, qui faisoient bien voir qu’ils ne savoient avec quels hommes ils vivoient, et qu’ils ignoroient les François comme les Japonois. Dans chaque siècle, ajoute l’auteur, il y a de certains préjugés dominants dans lesquels la vanité se trouve mêlée avec la politique ou la superstition, et ces préjugés sont toujours embrassés par les gens qui veulent avoir de la réputation par des