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DISCOURS

en nous une conduite générale. Soyons justes dans tous les lieux, justes à tous égards, envers toutes personnes, en toutes occasions.

Ceux qui ne sont justes que dans les cas où leur profession l’exige, qui prétendent être équitables dans les affaires des autres lorsqu’ils ne sont pas incorruptibles dans ce qui les touche eux-mêmes, qui n’ont point mis l’équité dans les plus petits événements de leur vie, courent risque de perdre bientôt cette justice même qu’ils rendent sur le tribunal. Des juges de cette espèce ressemblent à ces monstrueuses divinités que la fable avoit inventées, qui mettoient bien quelque ordre dans l’univers, mais qui, chargées de crimes et d’imperfections, troubloient elles-mêmes leurs lois, et faisoient rentrer le monde dans tous les dérèglements qu’elles en avoient bannis.

Que le rôle de l’homme privé ne fasse donc point de tort à celui de l’homme public : car dans quel trouble d’esprit un juge ne jette-t-il point les parties, lorsqu’elles lui voient les mêmes passions que celles qu’il faut qu’il corrige, et qu’elles trouvent sa conduite répréhensible comme celle qui a fait naître leurs plaintes ! « S’il aimoit la justice, diroient-elles, la refuseroit-il aux persones qui lui sont unies par des liens si doux, si forts, si sacrés, à qui il doit tenir par tant de motifs d’estime, d’amour, de reconnoissance, et qui peut-être ont mis tout leur bonheur entre ses mains ? »

Les jugements que nous rendons sur le tribunal peuvent rarement décider de notre probité ; c’est dans les affaires qui nous intéressent particulièrement que notre cœur se développe et se fait connoître ; c’est là-dessus que le peuple nous juge ; c’est là-dessus qu’il nous craint ou