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SUR L'HISTOIRE NATURELLE.

nir se faire du pain pour toute sa vie, sa fortune est faite ; il vit tranquille et n’espère plus rien de la Providence[1]. On n’auroit jamais fait, si l’on vouloit décrire tous les moyens divers que la nature emploie, et toutes les précautions qu’elle a prises, pour subvenir à la vie des hommes. Comme nous habitons un climat heureux, et que nous sommes du nombre de ceux qu’elle a le plus favorisés, nous jouissons de ses plus grandes faveurs sans nous soucier des moindres : nous négligeons et laissons périr dans les bois, des plantes, qui feroient une des grandes commodités de la vie chez bien des peuples. On s’imagine qu’il n’y a que le bled qui soit destiné à la nourriture des hommes, et on ne considère les autres plantes que par rapport à leurs qualités médicinales ; les docteurs les trouvent émollientes, diurétiques, dessiccatives ou astringentes ; ils les traitent toutes comme la manne qui nourrissoit les Israélites, dont ils ont fait un purgatif[2] ; on leur donne une infinité de qualités qu’elles n’ont pas, et personne ne pense à la vertu de nourrir qu’elles ont.

Le froment, l’orge, le seigle, ont, comme les autres plantes, des années qui leur sont très-favorables : il y en a où la disette de ces grains n’est pas le seul malheur qui afflige les peuples ; leur mauvaise qualité est encore plus cruelle. Nous croyons que, dans ces années si tristes pour les pauvres, et mille fois plus encore pour les riches, chez un peuple chrétien, on a mille moyens de suppléera la rareté du bled ; qu’on a sous ses pieds dans tous les bois mille ressources contre la faim ; et qu’on admireroit la Prov-

  1. Il est fâcheux que Montesquieu ne dise pas où il a trouvé ce fait, plus que miraculeux.
  2. A-t-on jamais prétendu que la manne du désert fût la même chose que le purgatif qui porte ce nom ?