En 1747, parut sous la rubrique Florence [1] une édition séparée, qui porte le titre de Voyage de l’isle de Paphos [2]. L’œuvre est complète, on a rétabli le commencement et la fin du manuscrit. On l’a même fait précéder d’une préface insignifiante, et on a inséré, dans le corps du récit, des vers qui sont plus que médiocres. Montesquieu n’a jamais passé pour poëte, mais dans ce qu’on connaît de lui, il n’y a rien d’aussi plat. Au reste, on en pourra juger. Nous n’avons pas voulu que les curieux eussent rien à regretter ; aussi donnons-nous le texte du Mercure avec les variantes et les additions de l’édition de 1747.
- Voici la préface de cette dernière édition :
Plaire à tout le monde ; c’est l’impossible. Plaire à beaucoup de personnes ; il est difficile. Plaire à un certain nombre ; cela se peut. Je souhaiterais que cet ouvrage fût lu de toutes les nations. Toutes y prendraient plaisir. Beaucoup l’aimeraient ; mais peu s’en accommoderaient. On n’y verra rien que de très-agréable. Je m’attacherai moins à faire la description de l’île que celle des faits que j’y ai vus. Chacun essaiera de s’y reconnaître dans le caractère de Diphile ; et je suis certain que peu l’imiteront, surtout en France ; car on assure, et je n’en doute nullement, que l’inconstance y prit naissance.
Le Français porte un cœur facile a s’enflammer.
Avide de plaisir, il en est mercenaire,
Et sans posséder l’art d’aimer
Il s’attache au moyen de plaire.
Sans trop chercher à me disculper, je sais qu’on pourrait trouver (et cela même à Paris) des amants dignes de faire le voyage de Paphos, quoiqu’il n’y ait que les plus parfaits qui puissent y arriver. S’il s’en trouve si peu, on ne doit l’attribuer qu’aux mœurs du siècle ; on se fait un devoir d’être inconstant, volage ; cependant on aime ; mais souvent tel s’attache et fait vœu de bien aimer un objet indigne de lui ; ainsi heureux mille fois ceux que l’amour sait assortir.