Tout bien pesé, je ne puis encore me déterminer à livrer mon roman d’Arsace à l’imprimeur [1]. Le triomphe de l’amour conjugal de l’Orient est, peut-être, trop éloigné de nos mœurs pour croire qu’il seroit bien reçu en France. Je vous apporterai ce manuscrit ; nous le lirons ensemble, et je le donnerai à lire à quelques amis. A l’égard de mes voyages, je vous promets que je les mettrai en ordre dès que j’aurai un peu de loisir, et nous deviserons à Paris sur la forme [2] que je leur donnerai. Il y a encore trop de personnes, dont je parle, vivantes, pour publier cet ouvrage, et je ne suis pas dans le système de ceux qui conseillèrent à M. de Fontenelle de vider le sac [3]avant que de mourir. L’impression de ses comédies n’a rien ajouté à sa réputation.
Puisque vous vous piquez d’être quelquefois antiquaire, je ne vois point d’inconvénient de donner à votre collection le titre de Galerie de portraits politiques de ce siècle, et pour moi, qui ne suis point antiquaire, je la préférerai à une galerie de statues. Vous songez sans doute qu’un pareil ouvrage ne doit être que pour le siècle à venir, auquel on peut être utile sans danger ; car, comme vous le remarquez.
- ↑ Ce roman n’a été imprimé qu’après la mort de l’auteur. V. sup. le second volume de notre édition, p. 382 et suivantes.
- ↑ Il hésitoit s’il réduiroit les mémoires de ses voyages en forme de lettres, ou en simple récit : prévenu par la mort, nous sommes prives jusqu’ici de l’ouvrage d’un voyageur philosophe qui savoit voir là où les autres ne font que regarder. (G.)
- ↑ En 1749, Fontenelle, désirant de publier ses comédies, en fit lecture dans la société de madame de Toncin, pour savoir s’il devoit les faire paroitre. Elles furent jugées au-dessous de la grande réputation de leur autour, et madame do Toncin fut chargée de le détourner de les faire imprimer, ce à quoi Fontenelle déféra ; mais l’amour paternel s’étant réveillé, il voulut avoir l’avis d’une autre société, qui lui persuada de vider le sac de tous ses manuscrits, et cet avis l’emporta ; mais le public ne fut pas si indulgent pour ses comédies. (G.)