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LETTRES FAMILIÈRES.


la bonté de m’envoyer, et la lettre que vous m'avez fait l’honneur de m’écrire sur les Œuvres posthumes de milord Bolingbroke ; et comme cette lettre me paroit être plus à moi que les deux ouvrages qui l’accompagnent, auxquels tous ceux qui ont de la raison ont part, il me semble que cette lettre m’a fait un plaisir particulier. J’ai lu quelques ouvrages de milord Bolingbroke ; et, s’il m’est permis de dire comment j’en ai été affecté : certainement il a beaucoup de chaleur, mais il me semble qu’il l’emploie ordinairement contre les choses, et il ne faudroit l’employer qu’à peindre les choses. Or, monsieur, dans cet ouvrage posthume dont vous me donnez une idée, il me semble qu’il vous prépare une matière continuelle de triomphes. Celui qui attaque la religion révélée n’attaque que la religion révélée ; mais celui qui attaque la religion naturelle attaque toutes les religions du monde. Si l’on enseigne aux hommes qu’ils n’ont pas ce frein-ci, ils peuvent penser qu’ils en ont un autre ; mais il est bien plus pernicieux de leur enseigner qu’ils n’en ont pas du tout.

Il n’est pas impossible d’attaquer une religion révélée, parce qu’elle existe par des faits particuliers, et que les faits, par leur nature, peuvent être matière de dispute : mais il n’en est pas de même de la religion naturelle ; elle est tirée de la nature de l’homme, dont on ne peut pas disputer, et du sentiment intérieur de l’homme, dont on ne peut pas disputer encore. J’ajoute à ceci : quel peut être le motif d’attaquer la religion révélée on Angleterre ? On l’y a tellement purgée de tout préjugé destructeur, qu’elle n’y peut faire de mal, et qu’elle y peut faire, au contraire, une infinité de biens. Je sais qu’un homme, en Espagne ou en Portugal, que l’on va brûler, ou qui craint d’être brûlé parce qu’il ne croit point de certains