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LETTRES FAMILIÈRES.


Je suis très-flatté du souvenir de M. l’abbé Oliva [1]. Je me rappelle toujours avec délices les moments que je passai dans la société littéraire de cet Italien éclairé, qui a su s’élever au-dessus des préjugés de sa nation. Il ne fallut pas moins que le despotisme et les tracasseries d’un Père Tournemine pour me faire quitter une société dont j’aurois voulu profiter. C’est une vraie perte pour les gens de lettres que la dissolution de ces sortes de petites académies libres, et il est fâcheux pour vous que celle du Père Desmolets [2] soit aussi culbutée. J’exige que vous m’écriviez encore avant votre départ pour Turin, et je vous somme d’une lettre dès que vous y serez arrivé. Adieu.


A Paris, 5 décembre 1750.
  1. Bibliothécaire du cardinal de Rohan à l’hôtel de Soubise, chez qui s’assembloient, un jour de la semaine, plusieurs gens de lettres, pour converser sur des sujets littéraires. Montesquieu, dans le premier voyage qu’il fit à Paris, fréquentoit cette société, mais, trouvant que le Père Tournemine y vouloit dominer, et obliger tout le monde à se plier à ses opinions, il s’en retira peu à peu, et n’en cacha pas la raison. Depuis lors, le Père Tournemine commença à lui faire des tracasseries dans l’esprit du cardinal de Fleury, au sujet des Lettres persanes. On a entendu conter à Montesquieu que, pour s’en venger, il ne fit jamais autre chose que do demander à ceux qui lui en parloient : Qui est-ce que le P. Tournemine ? je n’en ai jamais entendu parler : ce qui piquoit beaucoup ce jésuite, qui aimoit passionnément la célébrité. (Note de la première édition.)
  2. On a plusieurs volumes de fort bons mémoires littéraires lus dans cette société, recueillis par ce bibliothécaire de l’Oratoire, chez qui s’assembloient ceux qui en sont les auteurs. Les jésuites, ennemis des PP. de l’Oratoire, ayant peint ces assemblées, quoique simplement littéraires, comme dangereuses, à cause des disputes théologiques du temps, elles furent dissoutes, non sans un préjudice réel pour le progrès de la littérature. (Note de la première édition.)
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