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LETTRES FAMILIÈRES.



LETTRE XCV [1].


A L’ABBÉ COMTE DE GUASCO


Mon cher Abbé, il est bon d’avoir l’esprit bien fait, mais il ne faut pas être la dupe de l’esprit des autres. M. l’intendant [2] peut dire ce qui lui plaît : il ne sauroit se justifier d’avoir manqué de parole à l’Académie, et de l’avoir induite en erreur par de fausses promesses. Je ne suis pas surpris que, sentant ses torts, il cherche à se justifier ; mais vous, qui avez été témoin de tout, ne devez point vous laisser surprendre par des excuses qui ne valent pas mieux que ses promesses. Je me trouve trop bien de lui avoir rendu son amitié, pour en vouloir encore. A quoi bon l’amitié d’un homme en place, qui est toujours dans la méfiance, qui ne trouve juste que ce qui est dans son système, qui ne sait jamais faire le plus petit plaisir, ni rendre aucun service ? Je me trouvai mieux d’être hors de portée de lui en demander, ni pour les autres, ni pour moi ; car je serai délivré par là de bien des importunités :


Dulcis inexpertis cultura potentis amici :

Expertus metui [3].


Il faut éviter une coquette qui n’est que coquette et ne donne que de fausses espérances. Voilà mon dernier mot. Je me flatte que notre duchesse [4] entrera dans mes raisons ; son franc-alleu n’en ira ni plus ni moins.

  1. Publiée pour la première fois dans l’édition parisienne, 1767. p. 208.
  2. M. de Tourny.
  3. HORAT. Epist., lib. I, cp. XVIII, v. 86.
  4. La duchesse d’Aiguillon.