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LETTRES FAMILIÈRES.



LETTRE XCII [1].


AU GRAND PRIEUR SOLAR


A TURIN.


Votre Excellence a beau dire, je ne trouve pas les excuses que vous m’apportez de la rareté de vos lettres assez bonnes pour vous la pardonner ; et c’est parce que je ne trouve pas vos raisons assez bonnes, que je vous écris en cérémonie pour me venger.

Je vous dirai pour nouvelle que l’on vient d’exiler un conseiller de notre parlement, parce qu’il a prêté sa plume à coucher les remontrances que le corps a cru devoir faire au roi ; et ce qu’il y a de plus incroyable encore, est que l’exil a été ordonné sans qu’on ait même lu les remontrances.

L’abbé de Guasco est de retour de son voyage de Londres, dont il est fort content. Il se loue beaucoup de M. et de Madame de Mirepoix, à qui vous l’aviez recommandé : il dit qu’ils sont fort aimés dans ce pays-là. Notre abbé, enthousiasmé du succès de l’inoculation, dont il s’est donné la peine de faire un cours à Londres, s’est avisé de la prôner un jour en présence de Madame la duchesse du Maine, à Sceaux, mais il en a été traité comme les apôtres qui prêchent des vérités inconnues. Madame la duchesse se mit en fureur, et lui dit qu’on voyoit bien qu’il avoit contracté la férocité des Anglois, et qu’il étoit honteux qu’un homme

  1. Cette lettre a été publiée pour la première fois dans l’édition parisienne des Lettres familières (Florence-Paris), 1767.