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LETTRES FAMILIÈRES.


Il me semble que l’affaire prend un mauvais train. M, le cardinal de Tencin m’a dit, il y a quelque temps, que lorsqu’un livre étoit dénoncé à la Congrégation de l'Index, cela n’étoit rien ; mais que lorsqu’il y étoit porté, il étoit comme condamné : or, il me paroît , par la lettre de votre Excellence, que mon livre y a été porté, puisque l’on a jugé, à la pluralité des voix, d’accorder un délai pour en parler. De plus, votre Excellence me fait l’honneur de me marquer que, selon toutes les apparences, la Congrégation de l'Index condamnera les premières éditions ; ainsi je n’ait lait jusqu’ici que travailler contre moi. Sur ce pied-là je vois que les gens qui, se déterminant par la bonté de leur cœur, désirent de plaire à tout le monde et de ne déplaire à personne, ne font guère fortune dans ce monde. Sur la nouvelle qui me vint que quelques gens [1] avoient dénoncé mon livre à la Congrégation de l'Index, je pensai que, quand cette Congrégation connoîtroit le sens dans lequel j’ai dit des choses qu’on me reproche, quand elle verroit que ceux qui ont attaqué mon livre en France ne se sont attiré que de l’indignation et du mépris, on me laisseroit en repos à Rome, et que moi, de mon côté, dans les éditions que je ferois, je changerois les expressions qui ont pu faire quelque peine aux gens simples : ce qui est une chose à laquelle je suis naturellement porté ; de sorte que quand monseigneur Bottari m’a envoyé des objections, j’y ai toujours aveuglément adhéré, et ai mis sous mes pieds toute sorte d’amour-propre à cet égard ; or, à présent je vois qu’on se sert de ma déférence même pour opérer une condamnation. Votre Excellence

  1. C'était le Gazetier ecclésiastique si l'on en croit ce qui est dit dans l'Eloge du duc de Nivernois, place en tête dos Œuvres Posthumes.