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LETTRES FAMILIÈRES.


des vers de Crébillon ; tout cela a été fait quinze ou vingt ans auparavant.

Je suis un admirateur sincère de Catilina, et je ne sais comment cette pièce m’inspire du respect. La lecture m’a tellement ravi que j’ai été jusqu’au cinquième acte sans y trouver un seul défaut, ou du moins sans le sentir. Je crois bien qu’il y en a beaucoup, puisque le public y en trouve beaucoup, et de plus je n’ai pas de grandes connoissances sur les choses du théâtre. De plus, il y a des cœurs qui sont faits pour certains genres de dramatique ; le mien en particulier est fait pour celui de Crébillon, et comme dans ma jeunesse je devins fol de Rhadamiste [1], j'irai aux petites maisons pour Catilina. Jugez si j’ai eu du plaisir quand je vous ai entendu dire que vous trouviez le caractère de Catilina peut-être le plus beau qu’il y eût au théâtre. En un mot, je ne prétends pas donner mon opinion pour les autres. Quand un sultan est dans son sérail, va-t-il choisir la plus belle ? Non, il regarde, et il dit : Je l’aime ; il la prend, etc. Voilà comment décide ce grand personnage.

Mon cher Helvétius, je ne sais point si vous êtes autant au-dessus des autres que je le sens ; mais je sens que vous êtes au-dessus des autres, et moi je suis au-dessus de vous par l’amitié.


MONTESQUIEU.


A Saint-Seurin, ce 11 février 1749.
  1. Voyez les Pensées diverses, sup. p. 161.
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