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LETTRES FAMILIÈRES.

palais superbes, où il y a pour quarante ou cinquante mille scudi de tableaux et de statues.

Un soir qu’il pleuvoit, je me retirois avec mon parapluie et ma petite lanterne : « Messieurs, dis-je, voilà comme se retiroit le grand Cosme, quand il venoit de chez sa voisine. »

Il y a ici bien de la politesse, de l’esprit, et même de savoir : les mœurs y sont très-simples et non pas les esprits[1]]. On a peine à distinguer un homme d’un autre qui a cinquante mille livres de rente de plus. Une perruque mal mise ne met personne mal avec le public ; on fait grâce des petits ridicules, et on n’est puni que des grands. Tout le monde vit dans l’aisance ; comme la misère est peu de chose, le superflu est beaucoup : cela met dans la maison une paix et une joie continuelle, au lieu que la nôtre est toujours troublée par l’importunité de nos créanciers. Les femmes y sont aussi libres qu’en France ; mais il ne paroît pas qu’elles le soient tant, et elles n’ont point acquis cet air de mépris pour leur état, qui n’est bon à rien.

Du reste, on ne peut lever les yeux sans voir quelque chef-d’œuvre de peinture, sculpture, architecture ; il y a eu ici, en même temps, de grands ouvriers et des princes qui aimoient les arts. On voit partout le grand goût de Michel-Ange naître peu à peu dans ceux qui l’ont précédé, et se soutenir dans ceux qui l’ont suivi. La galerie du grand-duc est non-seulement une belle chose, mais une chose unique. Depuis un mois, j’y vais tous les matins, et je n’en ai encore vu qu’une partie. Là, et au palais Pitti, est un amas immense de tableaux des plus grands maîtres, et de statues antiques et modernes ; et dans celte quantité il n’y

  1. Les mots entre crochets sont couverts d’un trait dans l’original.