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PENSÉES DIVERSES.

son froid, Platon et Socrate se sont trompés avec leur beau, leur bon, leur sage : grande découverte qu’il n’y avait pas de qualité positive.

Les termes de beau, de bon, de noble, de grand, de parfait, sont des attributs des objets, lesquels sont relatifs aux êtres qui les considèrent. Il faut bien se mettre ce principe dans la tête ; il est l’éponge de presque tous les préjugés ; c’est le fléau de la philosophie ancienne, de la physique d’Aristote, de la métaphysique de Platon ; et si on lit les dialogues de ce philosophe, on trouvera qu’ils ne sont qu’un tissu de sophismes faits par l’ignorance de ce principe. Malebranche est tombé dans mille sophismes pour l’avoir ignoré[1].

Jamais philosophe n’a mieux fait sentir aux hommes les douceurs de la vertu et la dignité de leur être que Marc Antonin[2] : le cœur est touché, l’âme agrandie, l’esprit élevé.

Plagiat : avec très peu d’esprit on peut faire cette objection-là. Il n’y a plus d’originaux, grâce aux petits génies. Il n’y a pas de poëte qui n’ait tiré toute sa philosophie des anciens. Que deviendraient les commentateurs sans ce privilége ? Ils ne pourraient pas dire « : Horace a dit ceci… Ce passage se rapporte à tel autre de Théocrite, où il est dit… » Je m’engage de trouver dans Cardan les pensées de quelque auteur que ce soit, le moins subtil.

On aime à lire les ouvrages des anciens pour voir d’autres préjugés.

Il faut réfléchir sur la Politique d’Aristote et sur les Deux Républiques de Platon, si l’on veut avoir une juste idée des lois et des mœurs des anciens Grecs.

  1. Voy. l’Essai sur le goût, sup. page 115, note 1 et inf. page 162.
  2. Marc Aurèle.