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PENSÉES DIVERSES.

ne pouvais souffrir la retraite ; quand j’ai été dans mes terres, je n’ai plus songé au monde.

Quand je vois un homme de mérite, je ne le décompose jamais ; un homme médiocre qui a quelques bonnes qualités, je le décompose.

Je suis, je crois, le seul homme qui aie mis des livres au jour sans être touché de la réputation de bel esprit. Ceux qui m’ont connu savent que, dans mes conversations, je ne cherchais pas trop à le paraître, et que j’avais assez le talent de prendre la langue de ceux avec lesquels je vivais.

J’ai eu le malheur de me dégoûter très-souvent des gens dont j’avais le plus désiré la bienveillance.

Pour mes amis, à l’exception d’un seul, je les ai tous conservés.

Avec mes enfants, j’ai vécu comme avec mes amis.

J’ai eu pour principe de ne jamais faire par autrui ce que je pouvais par moi-même : c’est ce qui m’a porté à faire ma fortune par les moyens que j’avais dans mes mains, la modération et la frugalité, et non par des moyens étrangers, toujours bas ou injustes.

Quand on s’est attendu que je brillerais dans une conversation, je ne l’ai jamais fait : j’aimais mieux avoir un homme d’esprit pour m’appuyer, que des sots pour m’approuver.

Il n’y a point de gens que j’aie plus méprisés que les petits beaux esprits, et les grands qui sont sans probité.

Je n’ai jamais été tenté de faire un couplet de chanson contre qui que ce soit. J’ai fait en ma vie bien des sottises, et jamais de méchancetés.

Je n’ai point paru dépenser, mais je n’ai jamais été avare ; et je ne sache pas de chose assez peu difficile pour que je l’eusse faite pour gagner de l’argent.