Il nous donne tout le spectacle de la vie de Scipion, quand il dit de sa jeunesse : « C’est le Scipion qui croît pour la destruction de l’Afrique : hic erit Scipio qui in exitium Africœ crescit. » Vous croyez voir un enfant qui croît et s’élève comme un géant.
Enfin il nous fait voir le grand caractère d’Annibal, la situation de l’univers, et toute la grandeur du peuple romain, lorsqu’il dit : « Annibal fugitif cherchait au peuple romain un ennemi par tout l’univers : qui, profugus ex Africa, hostem populo romano toto orbe quœrebat. »
Il ne suffit pas de montrer à l’âme beaucoup de choses, il faut les lui montrer avec ordre : car pour lors nous nous ressouvenons de ce que nous avons vu, et nous commençons à imaginer ce que nous verrons ; notre âme se félicite de son étendue et de sa pénétration ; mais dans un ouvrage où il n’y a point d’ordre, l’âme sent à chaque instant troubler celui qu’elle y veut mettre. La suite que l’auteur s’est faite, et celle que nous nous faisons, se confondent ; l’âme ne retient rien, ne prévoit rien ; elle est humiliée par la confusion de ses idées, par l’inanité qui lui reste ; elle est vainement fatiguée, et ne peut goûter aucun plaisir : c’est pour cela que, quand le dessein n’est pas d’exprimer ou de montrer la confusion, on met toujours de l’ordre dans la confusion même. Ainsi les peintres groupent leurs figures ; ainsi ceux qui peignent les batailles mettent-ils sur le devant de leurs tableaux les choses que l’œil doit distinguer, et la confusion dans le fond et le lointain.