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DE L’ESPRIT DES LOIS.

On en vit naître des inconvénients sans nombre : il n’y eut plus de discipline, on ne sut plus obéir ; les armées ne furent plus funestes qu’à leur propre pays ; elles étoient chargées de dépouilles avant d’arriver chez les ennemis. On trouve dans Grégoire de Tours une vive peinture de tous ces maux [1]. « Comment pourrons-nous obtenir la victoire, disoit Gontran [2], nous qui ne conservons pas ce que nos pères ont acquis ? Notre nation n'est plus la même... » Chose singulière ! elle étoit dans la décadence dès le temps des petits-fils de Clovis.

Il étoit donc naturel qu’on en vint à faire un duc unique ; un duc qui eut de l’autorité sur cette multitude infinie de seigneurs et de leudes qui ne connoissoient plus leurs engagements ; un duc qui rétablit la discipline militaire, et qui menât contre l’ennemi une nation qui ne savoit plus faire la guerre qu’à elle-même. On donna la puissance aux maires du palais.

La première fonction des maires du palais fut le gouvernement économique des maisons royales. Us eurent, concurremment avec d’autres officiers, le gouvernement politique des fiefs ; et, à la fin, ils en disposèrent seuls [3]. Ils eurent aussi l’administration des affaires de la guerre et le commandement des armées ; et ces deux fonctions se trouvèrent nécessairement liées avec les deux autres. Dans ces temps-là, il étoit plus difficile d’assembler les armées que de les commander : et quel autre que celui qui disposoit des grâces, pouvoit avoir cette autorité ? Dans cette nation indépendante et guerrière, il falloit

  1. Grégoire de Tours, liv. VIII, ch. XXX ; et liv. X, ch. III. (M.)
  2. Ibid. liv. VIII ch. XXX. (M.)
  3. Voyez le second supplément à la loi des Bourguignons, titre XIII, et Grégoire de Tours, liv. IX, ch. XXXVI. (M.)