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SUITE DE LA DÉFENSE


« Croissez et multipliez, » à ce langage on auroit reconnu le chrétien, et c’étoit le philosophe qu’il falloit montrer ; cette citation auroit été une pétition de principe et le fruit d’un zèle imbécile. Les deux sexes sont faits l’un pour l’autre : ils ont des désirs, ils se cherchent, se rapprochent, s’unissent ; ils voient naître leur semblable d’une féconde jouissance ; les liens se resserrent ; l’amour sensuel diminue ; la bienfaisante amitié augmente ; on s’attache à ces gages aimables d’une tendresse mutuelle ; on s’aime en eux parce qu’on se voit dans son ouvrage. Il faut pourvoir à la subsistance de ces foibles et innocentes créatures, et dès lors il faut consacrer les nœuds qui lient les deux intéressés. On prend le ciel à témoin de sa fidélité : le serment garantit la paternité ; et l’obligation de nourrir ses enfants, en établissant la nécessité du serment, établit la durée du mariage : tout cela est très-indépendant de l’histoire d’Eve et d’Adam.

L’Écriture sainte est un grand arbre, fécond en fruits délicieux, mais qu’il ne faut présenter qu’à ceux qu’un heureux hasard ou une philosophie éclairée a placés sous son ombre.

Il n’y a pas moyen de tirer les critiques des bras de l’autorité : ils la mettent sans cesse à côté et souvent au-dessus de la raison. Au sujet de l’acte de la création, après quelques assertions improuvées, ils citent saint Thomas et Bossuet : pour Bossuet passe encore ; mais saint Thomas est-il un auteur à alléguer dans ce siècle-ci, à alléguer à un philosophe ?

A ces citations ils en ajoutent une infiniment respectable, celle de Moïse ; mais elle ne vient nullement au sujet. Qu’importe ? En cela, ils imitent saint Augustin, qui fait déjà Bible un nez de cire quand il dit qu’on